« Le télétravail a de beaux jours devant lui »

Le télétravail ne concernait plus qu’un salarié sur dix fin juillet selon le ministère du Travail © FF

Encouragé par la crise sanitaire, imposé par le confinement, le télétravail a révolutionné le quotidien de milliers d’entreprises. Syndicats et patronat tentent d’adopter des règles communes et des droits nouveaux pour les salariés qui recourent à cette pratique. Alors quel avenir pour le télétravail ? Témoignages et éléments de réponse.

Il a permis de relancer le marché des ordinateurs portables en France (+25% de ventes en mai et juin derniers selon l’institut GFK). Il a dopé les connections aux plateformes de visioconférence, faisant des incontournables « Teams » et « Zoom » de véritables fenêtres numériques entre collègues. Né - pour certains - de la crise sanitaire, le télétravail a surtout bouleversé la vie quotidienne de millions de salariés, acculées entre tâches parentales et obligations professionnelles lors du confinement. 

Pourtant, comme le rappelle Daniel Ollivier, consultant et sociologue des entreprises au cabinet Thera Conseil (1), « le processus était largement enclenché avant la pandémie, avant même le mouvement social contre la réforme des retraites fin 2019-début 2020. Je rappelle que les ordonnances portant sur le renforcement du dialogue social et les relations de travail, qui datent de septembre 2017, ont simplifié le recours au télétravail pour les entreprises et leurs salariés. Depuis, il n’est plus nécessaire de modifier le contrat de travail pour permettre à un salarié de télétravailler. En outre, auparavant, vous deviez, en tant que salarié, faire la démonstration que votre emploi était télétravaillable. Aujourd’hui, on est dans un processus inversé, c’est l’employeur qui doit démontrer que l’emploi n’est pas éligible ou que le salarié n’a pas les compétences requises pour pouvoir être suffisamment autonome. »

L’expérience de Rivages Pro Tech

Imposé pendant deux mois, le télétravail a été diversement vécu. Très mal par ce salarié d’une grande entreprise française, papa célibataire débordé par son enfant de 4 ans et proche du burn-out « domestique », qui supplie son responsable de revenir au bureau le jour même du déconfinement. Ou, au contraire, très bien par cette comptable toulousaine, quadra célibataire, qui n’envisage désormais sa carrière qu’à son domicile, au risque de « couper une partie de (son) lien social ».

Sur notre territoire, l’expérience a profondément marqué la douzaine de salariés de Rivages Pro Tech, le centre de surveillance et de prévision pour la gestion des milieux aquatiques basé à la technopole Izarbel. « On a tous commencé le télétravail quinze jours avant le confinement tout simplement parce qu’on avait lancé d’importants travaux dans nos bureaux, explique Laetitia Jourdan, la directrice de cette filiale de Suez. Nous étions donc bien préparés au confinement, bien équipés au niveau matériel, en bref bien rodés. Après, pour certains membres de l’équipe, cela a été un peu plus compliqué avec la garde de leurs enfants. Au début du confinement, certains ont dû adapter les horaires de travail, mais nous avions aussi cette souplesse. Et nous avions de l’activité, nous n’avions donc pas à nous plaindre ! » La pratique est du coup devenu pérenne au sein de Rivages Pro Tech, avec un rythme de trois jours de travail au bureau et de deux jours de télétravail. 

Télétravail et coworking

« Tout le monde y gagne en organisation et en prise de recul par rapport à son métier, confie Laetitia Jourdan. On gagne du temps parce qu’on n’est moins sur la route pour venir travailler et, du coup, c’est mieux pour l’environnement ! Des négociations nationales sont en cours afin d’instaurer ce rythme pour l’ensemble des salariés du groupe Suez. La prochaine étape, c’est d’imposer dans notre planning une journée de présence commune. » 

Pionnière en matière de télétravail, l’Antic (agence Pays basque des nouvelles technologies de l’information et de la communication) a ouvert en 2012, en collaboration avec l'association Coworking Pays Basque, le premier espace de coworking du territoire sur la technopole Izarbel, à destination des travailleurs indépendants, des télétravailleurs et des porteurs de projet (2).

« Pour certains territoires ruraux comme le nôtre, le télétravail permet de maintenir ou de ramener les gens à la campagne, note la directrice de l’Antic Annick Dalmagne. Dans certaines régions, cela a encouragé des collectivités à investir dans l’ouverture d’espaces de coworking ou de télétravail. La Communauté d’agglomération Pays basque est par exemple à l’initiative de la création de l’espace de coworking Habia à Itxassou, géré par l’association Andere Nahia. »

« Une personne sur deux concernée en 2030 »

Si le confinement a imposé conjoncturellement le télétravail, il s’agit désormais de traduire structurellement son usage et d’encadrer sa pratique. C’est ce à quoi s’attellent patronat et syndicats, ces derniers réclamant l’organisation d’une négociation d’accord national interprofessionnel.

Le quotidien Le Monde, qui parle de « révolution du télétravail » à travers l’Europe, affirme qu’environ quatre entreprises sur dix en Allemagne et au Royaume-Uni « envisagent de pérenniser » la pratique. Selon une récente enquête menée par l’Association nationale pour l’économie des entreprises (NABE), 80% des entreprises américaines voudraient quant à elles poursuivre le télétravail une fois la crise sanitaire terminée. Et en France ? Le télétravail ne concernait plus que quatre salariés sur dix fin juin et seulement un sur dix fin juillet selon le ministère du Travail. Mais Daniel Ollivier estime que « la pratique a de beaux jours devant elle : sachant qu’à peu près 80% de la population active est dans le secteur tertiaire dans notre pays, je considère qu’une personne sur deux sera concernée par le télétravail en 2030. »

(1) Daniel Ollivier est l’auteur de « Manager le travail à distance et le télétravail, les bonnes pratiques des nouveaux modes de travail » (Gereso Editions)

(2) L’association propose aujourd’hui deux espaces de coworking à Biarritz (Chapelet) et Bayonne (Bergeret).

Le télétravail, un défi pour les manageurs

Selon Daniel Ollivier, consultant au cabinet Thera Conseil, « le télétravail impose de repenser les circuits de prise de décision, de responsabilité, de délégation… »

« Cela s’inscrit dans un projet de mise en place progressive et qui nécessite un peu de temps, poursuit ce sociologue des entreprises. Certains managers considèrent, à tort, que le télétravail, c’est pour eux la dépossession du pouvoir, qu’à un moment donné, on n’aura plus besoin d’eux ! Il est vrai qu’avec le télétravail, les collaborateurs vont développer leurs compétences et vont surtout aller les chercher auprès de leurs pairs, plutôt qu’auprès de leurs managers.Le télétravail va donc rendre service à une évolution managériale qui peine à se mettre en place. On a besoin aujourd’hui d’avoir des managers qui sont plutôt des facilitateurs, des gens qui vont architecturer l’organisation, favoriser les interactions entre les personnes, favoriser la capacité à gérer le changement… Un manager doit être plutôt centré sur l’anticipation que sur la régulation au quotidien des problèmes qui se posent dans l’entreprise. Son rôle va devenir beaucoup plus intéressant. C’est pour ça, à mon sens, que les managers ont tort de s’inquiéter parce qu’on va avoir de plus en plus besoin d’eux pour structurer, organiser, piloter les évolutions. Le télétravail aura le mérite de faire bouger les lignes. » 

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