« Réintroduire le savoir-faire des opérateurs dans la définition du travail »

Chercheur associé à la chaire « Futurs de l'industrie et du travail » de Mines ParisTech, ancien directeur du Programme « Usine du Futur » de la Région Nouvelle Aquitaine, François Pellerin explique pourquoi une démarche de « design du travail » est indispensable à la transformation de l’industrie. 

Vous insistez sur le fait que la transformation de l'industrie n'est pas qu'une question de technologie. Quels sont les autres défis ?

De 2014 à 2019, j’ai animé le plan Industrie du Futur de la région Nouvelle Aquitaine, afin d’accompagner les PME et ETI du territoire vers la robotique et la numérisation pour se transformer technologiquement. Par conviction personnelle, j’ai mis autant de management que de technologie dans ce programme. Je considère que se moderniser est essentiel, en adoptant la robotique, l’impression 3d, l’internet des objets, mais qu’il est tout aussi nécessaire de transformer le management en entreprise. C’est particulièrement vrai dans l’industrie, qui a culturellement une appétence pour la hiérarchie, le taylorisme et la centralisation. Ce modèle n’est plus adapté à notre époque, à cause de la transition numérique, qui implique de remettre en question les silos organisationnels, mais aussi de l’évolution des attentes des salariés. Les « millénials, » la « génération Z » sont extrêmement mobiles et en quête de sens dans leur travail. Une organisation rigide, hiérarchique ne leur convient pas. De ce fait, l’usine du futur implique aussi un changement du comportement managérial pour accompagner la transformation numérique et les évolutions sociétales.

C’est ce que vous proposez avec le Design du Travail ?

Ce concept part d’un constat. En 2018, j’ai commencé à travailler au sein de la Chaire « Futurs de l’Industrie et du Travail » de Mines ParisTech. L’objectif de départ était de comprendre comment les entreprises industrielles s’organisaient dans le cadre de la transformation numérique de l’industrie. Nous avons étudié 30 cas d’entreprises pour identifier les bonnes pratiques. Cette analyse a permis de mettre en évidence trois éléments majeurs : l’autonomie et la responsabilité dans les organisations, le lean management et la technologie.

De ces trois éléments, l’autonomie et la responsabilité dans les organisations est le premier pas du chemin vertueux de la transformation. Peu développé en France, c’est pourtant un aspect fondamental car c’est sur cette base que l’on développe l’engagement des salariés. Quand on déploie une démarche d’autonomie et de responsabilité, on développe ensuite un Lean management respectueux des salariés. C’est essentiel pour limiter le gaspillage par amélioration continue.  Avant de numériser un process, il vaut mieux l’optimiser grâce au lean. Enfin, on peut passer à la transition numérique et déployer la technologie. Dans ce schéma, les salariés à qui on a donné de l’autonomie et de la responsabilité mettent en œuvre le lean et le déploiement de la technologie. La confiance se renforce au fur et à mesure dans l’organisation.

En quoi consiste le Design du travail ? 

En menant nos études, nous avons mis en évidence qu’il y avait un moyen très puissant pour engager les salariés : leur permettre de participer à la définition de leur propre travail. Aujourd’hui, c’est l’entreprise qui définit le travail. Cette séparation est déstabilisante pour les opérateurs : le fait de réintroduire le savoir-faire des opérateurs dans la définition du travail est essentiel.

Le Design du Travail n’est rien d’autre que cela. Aujourd’hui, quand on désigne un produit pour un client, on implique ce dernier dans la définition du produit, par du « test and learn ». Le schéma classique « étude de marché / Business Plan / développement produit est complètement obsolète. Dans l’incertain, ce qui marche, c’est la mise au point itérative du produit avec le client.

Pour le travail, c’est le même principe. Il faut sortir du mécanisme rigide où le bureau des méthodes définit le travail pour privilégier une démarche de concertation avec les opérateurs qui ont des compétences et des savoir-faire. Le travail ne doit pas uniquement être défini pour faire un produit, mais aussi pour l’utilisateur qui va le produire. Ainsi, les opérateurs écrivent eux même comment le travail peut être réalisé.

Vous parlez du Design du Travail comme d’une « révolution culturelle ». Quels sont les axes de transformation ? 

Cela demande effectivement un changement culturel très profond du dirigeant et des managers. Comme beaucoup, j’ai été formaté au fait que le manager est là pour décider. Aujourd’hui, il doit plutôt être présent pour soutenir. La question principale que devrait poser le manager au salarié, ce n’est pas « de quels ordres as-tu besoin pour faire ton travail ? » mais plutôt « de quoi as tu besoin pour bien faire ton travail ? » C’est un management de soutien professionnel.

Comment engager cette révolution ? Nous travaillons actuellement sur une méthodologie du Design du Travail mais rien ne se passe si le dirigeant n’est pas convaincu. Il faut que le dirigeant se mette en retrait du territoire de la décision, en quittant une attitude où il décide de tout. Cela demande un travail de fond sur soi-même, qui prend plusieurs mois.

Ensuite, la démarche est plus collective. Le dirigeant peut être accompagné par des facilitateurs, des collaborateurs de l’entreprise qui vont être pionniers pour  construire la réflexion ensemble. Puis le dirigeant peut faire évoluer son Comité de Direction, c’est à dire l’ensemble des managers de l’entreprise. La démarche commence donc par du « top down » mais, une fois que les pratiques sont mises au point, on retrouve du « bottom up ».

Le design du travail peut-il redorer l'attractivité de l'industrie ?

L’industrie et ses métiers ont effectivement des problèmes d’attractivité. Mais ces difficultés de recrutement sont aussi une opportunité pour changer les pratiques. Face à ce problème, tous les leviers sont utiles : l’attractivité des salaires, l’organisation du temps de travail, les conditions de travail sont importants. Mais cela ne suffira pas si le management est rétrograde.

Ce qui compte plus que tout, c’est la « motivation intrinsèque » des salariés, qui repose sur l’autonomie, la responsabilité, le développement des compétences, et enfin le sens du travail, non seulement le sens du produit fabriqué mais aussi la reconnaissance et la considération du salarié et de son métier dans l’entreprise. Développer cette motivation intrinsèque passe par le design du travail.

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